De la Macédoine à l'Iran

20/2/1945

 

Le maréchal Tito vient de créer son propre État macédonien. Au moment où les troubles de Grèce semblent être apaisés, l'attention est de nouveau attirée vers les Balkans. Au reste, peut-elle s'en détacher ? Il est deux points autours desquels se situeront les principales difficultés diplomatiques de l'après-guerre : les Balkans d'une part, et la Perse et l'Afghanistan d'autre part.

Ce sont en effet les lieux où les intérêts de l'Angleterre et de la Russie sont le plus difficilement conciliables. Pour les Balkans, nous avons déjà dit ici l'opposition entre la volonté de la Russie d'accéder à travers eux vers la mer libre, et la politique anglaise des routes. Pour la Perse et l'Afghanistan, c'est la question des Indes qui est en jeu. Elle joue comme un mirage dans les imaginations russes. D'où conflit d'influences sur ces terres qui en sont en quelque sorte le rempart. La question est compliquée par le fait que tous ces territoires sont la clé de grands centres pétroliers. On sait combien la question du pétrole a pesé sur la politique de l'entre-deux-guerres. Cette question va ressurgir avec une acuité accrue par l'appauvrissement relatif des puits américains.

D'Iran nous vient la nouvelle de troubles qu'il faudra suivre avec un grand soin. Ce sont des troubles intérieurs, des grèves, des luttes de factions. Mais nous savons que, dans ces territoires, les troubles internes ont facilement des répercussions sur les événements internationaux.

Dans les Balkans, ce sont les visées du maréchal Tito qu'il faut suivre. Patiemment, morceau par morceau, il construit sa Fédération balkanique. Il vient de constituer, dans cette Fédération, la Macédoine comme un territoire autonome.

Peut-être n'est-il pas inutile de faire ici un peu d'histoire. Au moyen Age, la Macédoine était déjà disputée entre les Bulgares et les Serbes. En 1352, elle tomba sous le joug turc pour cinq siècles. Au traité de San-Stefano, en 1878, la Russie voulut la placer sous l'autorité de la Bulgarie, mais le Congrès de Berlin la rendit à la Sublime Porte.

À partir de ce moment, l'agitation n'y cesse plus. Les Turcs ne parvenaient pas à y affirmer leur force. En 1912, ils devaient la perdre, tandis que la Serbie, la Bulgarie et la Grèce se la partageaient. La seconde guerre des Balkans amena un second partage en 1913, défavorable cette fois-ci à la Bulgarie. En 1919, enfin, le traité de Neuilly ne laissera à la Bulgarie qu'un dixième de la province. La Yougoslavie en acquit la plus grande partie avec Monastir. La Grèce eut la zone côtière avec Salonique.

On voit donc combien âprement fut disputé ce territoire. Son autonomie, dans le cadre d'une Fédération, peut être un facteur de paix. Une domination commune sur les territoires contestés évitera peut-être les conflits. Pourtant, il faut reconnaître que la constitution de cet État autonome, si elle demande un léger sacrifice à la Bulgarie (les districts de Nevrokop et de Petrich), s'imposera comme un sacrifice beaucoup plus lourd à la Grèce, qui se trouvera privé des districts situés au nord de l'Hallakmon et sans doute de Salonique. Étant donné la manière dont la maréchal Tito d'une part, la Bulgarie d'autre part, sont attachés à la Russie, s'est toujours une extension de la puissance russe vers la mer Égée. Tandis que la Grèce, qui est comme un jalon de la Grande-Bretagne sur la route des Indes, se trouvera amputée. Ici encore bien des difficultés peuvent donc surgir après la guerre.

Que devons-nous en conclure ? Pour la France, c'est un devoir de vigilance. Nous l'avons déjà dit, nous sommes les conciliateurs naturels de nos alliés, et la presse américaine, récemment, a souligné ce rôle. Il appartient à nos diplomates d'avoir l'imagination et le talent nécessaires pour faire prévaloir dans ces régions des solutions de paix. Il nous appartient à nous de faire de la France un pays assez fort pour que sa médiation soit efficace.